Mario d’Souza
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Mario d’Souza

Stéphanie Airaud

Mario d’Souza

Pourquoi avoir si peur des montres, des êtres hybrides ? Parce qu’ils tiennent leurs formes d’un geste puissant qui les a destinés à une métamorphose sans fin ? Or, nous sommes tous engagés physiquement et intellectuellement dans un phénomène de mixité et de mélange permanent, inévitable. Notre société a peur de croiser les mondes, angoisse chez certains teintée de nationalisme. Or l’altérité est notre nature. Dans les peintures de Jérôme Bosch, les formes de métissage n’étaient rien d’autre que des monstres de l’enfer. Or rien n’est éternel, tout est voué à disparaître, à se transformer, à s’entrechoquer. L’œuvre de Mario d’Souza raconte ce destin, cette positivité des formes, leur perpétuelle entrecroisement. A travers ses sculptures, installations, dessins ou projets participatifs, auxquels il consacre un part non négligeable de son activité, il explore le geste qui respectera les matériaux (aussi divers que le cep de vigne, la mousse, le métal) et l’histoire des objets qu’il manipule, mais qui tend en même temps un dépassement de leur usage et fonction initiaux. En assemblant, voire en encastrant, une carcasse de chaise standardisée tubulaire dévitalisée et un bloc de mousse blanche monstrueusement démesuré, il leur confère une force d’expansion inédite. Il peut au contraire, dans un autre assemblage, tester les modalités de pesanteur. Les notions d’élévation et d’expansion sont au cœur du travail de Mario d’Souza. On les retrouve bien évidemment dans l’architecture gothique qui donnait aux édifices d’impression de gigantisme, poussés par vers des hauteurs spirituelles. En danse, la puissance d’élévation du corps, dont Nijinsky fut le plus représentatif, engage le psychisme tout entier. Mais ce rêve icarien classique peut être remis en jeu aujourd’hui par un travail sur la signification de la pesanteur, de la réalité de la terre, exploration de l’horizontalité.

La chaise est un motif central dans l’œuvre de Mario d’Souza. D’abord fauteuil, puis chaises standardisées d’écolier. Il semblerait poser la question de la standardisation des objets, des pensées et des comportements, à l’image de la fameuse sculpture de Claude Lévêque, Asile (1988). Mais l’interrogation se porterait plus volontiers vers le paysage naturel ou mental. Nous connaissons la chaise pop (électrique chez Warhol), la chaise constructiviste ( Rietveld ), la chaise conceptuelle (Kosuth) ou encore la chaise métaphysique (Ramette). Ici, c’est une chaise paysage ou bio-dynamique (en écho à l’agriculture bio-dynamique basée sur une profonde compréhension des lois du « vivant ») !

L’histoire de l’art moderne et contemporain est nourrie de ces expériences d’hybridation et de tension des contraires à l’instar des collages cubistes, premières formes d’intrusion dans l’espace de représentation de la réalité, du monde « vrai ». Picasso réalise en 1912 la première collusion de ce genre avec Nature morte à la Chaise cannée. (Tiens ! une chaise encore), un morceau de toile cirée représentant un motif de cannage plus exactement. Un matériau de récupération chargé d’une fonction narrative nouvelle. L’atelier de Mario d’Souza rappelle le Merzbilder de Kurt Schwitters, un espace où il collectionnait les rebus de la ville, papiers, cartes de bus … Mario d’Souza réserve pour plus tard tissus, chaises, matières naturelles et organiques. Il attend, observe et laisse venir, par le dessin et les expérimentations, le geste final d’assemblage qui redonnera la vitalité aux objets. Il respecte ainsi l’économie, voire l’écologie de l’œuvre et de son processus.

« Le concept que je développe est bien souvent compris dans le geste qui révèle l’objet, en le décalant, en le revisitant. Mon concept de travail est comme un lien, un pont, entre l’objet formel, avec sa propre histoire et sa propre utilité (qui conditionne son apparence) et l’objet révélé. »