Mario d’Souza
SPIP

Catalyse

Céline Poulain

La première fois que j’ai vu le travail de Mario D’Souza, c’était lors de l’exposition “Rehab” de Bénédicte Ramade. J’ai été très intriguée par ces formes abstraites cintrées dans des chaises, à l’esthétisme mélancolique. L’invitation à rencontrer Mario D’Souza pour parler de son travail et discuter de cette installation qu’il allait présenter au Château d’eau de Bourges est arrivée étonnamment la semaine suivante. La pièce, que l’artiste nous présente ici, se situe dans une continuité avec ce travail que nous lui connaissons, mais constitue néanmoins une mutation de sa pratique, due à la prégnance du lieu et l’intégration du travail à ce contexte.

Les objets que produit Mario D’Souza ont une histoire. La mousse qu’il utilise pour ses sculptures est récupérée, il s’agit d’un fragment rejeté de l’industrie, elle porte les marques, les traces, les stigmates de son usage antérieur. Ré-utiliser, trouver une autre finalité à une matière, lui proposer une nouvelle histoire à vivre, c’est singulièrement ce qui intéresse l’artiste dans les formes qu’il génère. C’est en premier lieu le rapport à un matériaux, son utilisation inédite qui va guider la production. Comme tout sculpteur, la notion d’équilibre et de contrainte, de tension des éléments assemblés, va donner son élan au geste et provoquer la forme finale que prendra la sculpture. Mais tout ce jeu formel est habité d’un rapport à l’autre. La chaise, élément essentiel du vocabulaire de l’artiste, est bien sûr une figure métonymique du corps humain. Les éléments qui y sont associés résonnent, par leur dureté ou leur malléabilité, avec ce symbole du quotidien pour le faire tendre vers une image qui pose toujours la question de l’équilibre des relations.

Pour l’installation spécifique du Château d’eau, Mario D’Souza s’est confronté avec un lieu qui lui-même a une histoire, un lieu porteur de ses propres stigmates. Un château d’eau est pour l’artiste marqué par son caractère risomatique : il est par son architecture même porteur de l’histoire collective qu’il incarne. C’était le lieu central de la distribution de l’eau, et la forme circulaire de cette tour accentue cette image de noyau, de centre distributeur. La figure du cercle, très présente dans les pièces de l’artiste, Mario D’Souza l’associe à un mouvement global, le cercle étant cette image de l’infini, du mouvement perpétuel. C’est cette circularité que l’installation de Mario D’Souza met ici, littéralement, en relief. L’artiste considère ici le lieu comme un matériau trouvé, à l’image des objets qu’il utilise, et auquel il va associer d’autres éléments pour les révéler ; cet endroit marqué par un usage obsolète, Mario D’Souza cherche à en rendre visible un aspect oublié, celui de catalyseur. C’est pourquoi, contrairement à son habitude, l’artiste va utiliser des matériaux plus standardisés, plus lisses, dont la forme va s’intégrer au lieu un comme support. L’installation surligne, accentue, dessine l’existant. Le choix de la couleur, assez inhabituel, découle de l’humanité que l’artiste perçoit dans cet endroit : l’inter-relation évoquée par le Château d’eau, et son statut aujourd’hui de lieu d’exposition ouvert à tous, en fait un espace privilégié de la rencontre. Le rapport de l’oeil a la couleur est celui d’un plaisir immédiat. Utiliser la couleur est pour l’artiste une adresse directe aux sensations du spectateur.

L’artiste emploie souvent le terme de “confort” pour parler de notre rapport au monde. La définition du confort est de s’installer dans des sensations agréables. Mais comme le dénonce Nietzsche, le confort physique tend vite à la facilité de la pensée, à une forme de médiocrité. Si l’oeuvre de Mario D’Souza semble accueillir le visiteur, lui proposer une expérience agréable, l’objectif de l’artiste est de problématiser cet apparent bien-être et la satisfaction qui en découle. Le perpétuel questionnement sur la réception de son oeuvre, l’intérêt à l’usage du lieu dans lequel s’inscrit son travail et qui en devient la matière même, la volonté de transmettre au public ses propres questionnements, tous ces paramètres réunis font des productions de Mario D’Souza des oeuvres généreuses et en constante évolution.